Améliorer la communication opérationnelle avec l'analyse transactionnelle : le cas BOEING
- 18 sept.
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1. Quand la communication devient un facteur de risque vital
La crise du Boeing 737 MAX, survenue entre 2018 et 2019, a conduit à l’arrêt mondial de la flotte et a coûté la vie à 346 personnes. Cet événement a marqué l’histoire aéronautique par son ampleur et par la perte de confiance massive des passagers, des régulateurs et des compagnies partenaires. La crise a également entraîné pour Boeing un coût financier estimé à plusieurs dizaines de milliards de dollars et une atteinte profonde à son image de marque.
Les enquêtes menées par la FAA, le Congrès américain et plusieurs panels d’experts indépendants ont révélé que le problème n’était pas uniquement technique. Au-delà des failles liées au système MCAS, elles ont mis en lumière un point central du management opérationnel : une défaillance de communication interne.
Le constat est alarmant :
Les équipes opérationnelles, incluant ingénieurs et techniciens, n’osaient pas toujours remonter les problèmes ou voyaient leurs alertes ignorées par la hiérarchie.
Les managers étaient souvent focalisés sur la pression commerciale et les délais de livraison, reléguant au second plan l’écoute attentive des signaux de sécurité.
Le climat de communication était marqué par l’asymétrie et la crainte : remonter une alerte pouvait être perçu comme dérangeant, voire dangereux pour sa carrière.
Cette rupture du dialogue a contribué à fragiliser la sécurité et la confiance dans l’organisation, transformant des problèmes techniques en drame humain et industriel. Même dans les environnements les plus techniques, la qualité des échanges humains demeure déterminante.
2. Le cadre de lecture : Ce que l’Analyse Transactionnelle (AT) apporte
L’Analyse Transactionnelle (AT), développée par le psychiatre Eric Berne dans les années 1950, propose un cadre simple et puissant pour analyser et améliorer la communication. Elle distingue trois « états du moi » qui façonnent nos interactions : Parent, Adulte, Enfant.
2.1. Application au cas Boeing et identification des blocages
L’AT permet de relire les défaillances de communication chez Boeing sous un angle relationnel :
Tout d’abord une posture managériale de type état du moi Parent : Les managers s’exprimaient souvent depuis leur Parent Normatif (Pnf), avec des messages tels que : « Faites comme on dit », « Respectez les procédures, ne discutez pas », ou « Suivez les règles, point. »
Ensuite, une réponse opérationnelle de type état du moi Enfant : Les collaborateurs répondaient fréquemment depuis leur Enfant Adapté Soumis (Eas), en taisant leurs alertes pour éviter reproches et conflits. Certains adoptaient parfois une posture d’Enfant Adapté Rebelle (Ear), critiquant en coulisses, mais sans agir concrètement pour changer la situation.
Le résultat de ce type de fonctionnement sont des schémas relationnels débouchant sur des transactions (vecteurs de communication) parallèles, d’un point de vue social, mais stériles en réalité, puisque d’un point de vue psychologique, elles étaient croisées ce qui bloquait la circulation d’informations ce qui a conduit à la situation décrite précédemment.
2.2. L’objectif : Favoriser les transactions Adulte ↔ Adulte
L’enjeu est de rétablir des transactions de type Adulte ↔ Adulte. Dans ce mode d’échange, les faits et les demandes sont partagés sans jugement, clairement et sans crainte, dans un climat de reconnaissance mutuelle. L’état du moi Adulte dialogue sur la base des données et de la réalité, ce qui favorise la confiance et la transparence.
3. Trois leviers concrets inspirés de l’AT pour transformer les échanges
Pour rétablir une communication fluide et constructive, voici trois recommandations directement issues de l’AT :
Clarifier et contractualiser les règles du jeu : Il est essentiel de définir collectivement comment signaler une anomalie et de s’y tenir. Instaurer des « contrats » clairs signifie que toute anomalie doit être remontée immédiatement, et que le collaborateur qui le fait est protégé de toute sanction.
Valoriser la parole et donner de la reconnaissance positive : Les collaborateurs doivent recevoir des signes de reconnaissance positifs lorsqu’ils signalent une anomalie, même mineure, ou lorsqu’ils partagent une difficulté. Reconnaître publiquement ces comportements encourage la circulation de l’information et lutte contre la culture du silence et des jeux psychologiques.
Former au repérage des états du moi : Managers et techniciens doivent être formés à identifier quand ils basculent en mode Parent ou Enfant, et à revenir à une posture Adulte. Cet apprentissage favorise des dialogues factuels, orientés solutions, au lieu de rester dans des échanges hiérarchiques ou émotionnels improductifs.
4. Conclusion et portée stratégique
Le cas Boeing rappelle avec force que les défaillances techniques sont souvent précédées de défaillances de communication. Les grands échecs organisationnels ne sont pas uniquement liés aux technologies ou aux procédures, mais d’abord et surtout à la qualité des échanges humains. Je dis souvent qu’il manque un mot après « organisation » quand je parle de cela avec les chefs d’entreprise. Je vous laisse deviner lequel…
L’Analyse Transactionnelle constitue dans ce contexte un outil managérial stratégique. Elle offre un cadre simple et pragmatique pour :
Prévenir les jeux psychologiques (accusations, culpabilisation, silence).
Restaurer une culture de dialogue factuel et constructif.
Sécuriser les processus grâce à une communication plus fluide et transparente.
En investissant dans cette approche, les organisations humaines (si vous ne l’aviez pas, maintenant c’est fait ! ) renforcent non seulement la confiance au sein de leurs équipes, mais aussi leur capacité à réagir efficacement aux signaux faibles. Elles créent ainsi les conditions d’une coopération solide et d’une performance durable.
5. Sources principales
Expert Panel de la FAA — Rapport « Section 103 Expert Review »
Ce rapport mandaté par le Congrès aux États-Unis examine la culture de sécurité chez Boeing, le rapport entre la direction et les équipes, les systèmes de signalement, les processus ODA (Organization Designation Authorization), etc.
Il met particulièrement en lumière un « disconnect » entre la direction senior et les employés en matière de sécurité, la complexité des procédures, le manque de clarté dans les recommandations et une grande variabilité dans la compréhension des rôles et métriques de sécurité.
Article de Reuters sur le « disconnect »
« Panel finds safety « disconnect » between Boeing management, employees », 26 février 2024. Cet article décrit les conclusions du panel d’experts, notamment ce fossé entre la direction et les employés sur la culture de la sécurité, sur la perception des mesures de sécurité, etc.
Articles de The Guardian / Washington Post / ABC / etc. sur les messages internes
The Guardian : « Boeing messages raise serious questions about 737 Max internal messages » — décrit des messages internes d’employés parlant de défauts, d’inquiétudes techniques, etc.
ABC News : messages internes de pilotes avant les accidents, remarques sur le comportement du système MCAS dans les simulateurs.
Washington Post : divulgation de communications internes entre employés à propos des relations avec la FAA.
Analyses de Harvard Law School/Corporate Governance
Article « Boeing 737 MAX » sur Harvard’s Corporate Governance examine les problèmes organisationnels, y compris le leadership, les styles de management, la pression sur la production, et les effets de ceci sur la sécurité et la qualité.
FT & AP News etc. sur les processus de sécurité confuse et la formation/les procédures
Financial Times : « Inadequate and confusing safety processes flagged at Boeing » — racontant que le rapport expert mentionne des formations/procédures trop complexes, souvent changeantes, difficiles à comprendre par certaines équipes.
AP News : « Boeing’s safety culture falls short… » traitant du même panel d’experts et de la perception des employés.


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